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Echo Studio, l’audiovisuel au service de l’impact

Enora Meriadec 8 avril 2021
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Raphaël Perchet, directeur général d'Echo Studio

Dans le cadre de nos études à l’ICART et de la semaine thématique “Comment la culture change le monde ?” donnée et organisée par Samuel Valensi, nous recevons Raphaël Perchet, directeur général d’Echo studio.

Bonjour Raphaël Perchet nous sommes absolument ravis de vous recevoir aujourd’hui pour parler de Echo Studio, une société de production engagée dont l’ambition transcende le simple divertissement. Pouvez-vous nous présenter le studio ?

Echo Studio est une société de production bien particulière, qui dénote dans l’univers audiovisuel français. Sa création en 2016 résulte de l’association entre la société Bonne Pioche, connue pour La Marche de l’Empereur oscarisé en 2006, Jean-François Camilleri, ancien président de Disney France et créateur du label Disneynature et Serge Hayat, un des grands financiers et entrepreneur du cinéma français.
Face au plaisir partagé entre Bonne Pioche et Jean-François Camilleri dans leurs projets communs (notamment La Marche de l’Empereur) et le succès critique et public de ces derniers, ils se sont rendu compte du potentiel impact responsable que pouvaient avoir des créations aussi engagées. Ils ont alors considéré très sérieusement l’idée de créer un studio dont l’objet serait, par une programmation variée et engagée, de changer les mentalités sur des causes essentielles environnementales ou sociétales.
Il existait déjà Participant Media aux États-Unis mais cette démarche d’un studio spécialisé restait unique en Europe.
Le film est pour nous la rampe de lancement pour amorcer concrètement un changement dans la société, cette concrétisation est essentielle pour donner du sens à notre message. Nous sommes convaincus que mener ce combat tout en délivrant de fortes émotions au spectateur peut changer définitivement les choses.
Nous avons appelé ce concept “l’engage-tainment” : rencontre d’entertainment et d’engagement.

Le documentaire semble être votre genre de prédilection, pourriez-vous l’expliquer ?

Le documentaire est un genre très intéressant et qui, par l’apparition des nouvelles plateformes, connaît un véritable renouveau.
Il repose sur trois logiques sur lesquelles nous nous appuyons aussi bien pour toucher le spectateur que dans notre politique d’entreprise :
• La logique d’engagement, suivant une véritable enquête, je pense à Citizenfour de Laura Poitras centré sur Snowden.
• La logique de changement, il s’agit de chercher des solutions, je peux citer Demain est à nous de Gilles de Maistre que nous avons co-produit et sorti en septembre 2019.
• La logique d’émerveillement, la plus efficiente, celle qui balaie la résignation, touche les jeunes générations et animait particulièrement les documentaires Disneynature.

Notre démarche est de mettre en lumière la réalité, aussi magnifique et crue soit-elle pour ensuite chercher à répondre aux problèmes exposés. En s’appuyant sur ces trois logiques, nous n’éveillons pas le fatalisme, nous rendons le public spectateur et acteur du changement.

Je précise néanmoins que loin d’être spécialisés dans le documentaire, Echo Studio accueille toute forme de contenus. Nous avons d’ailleurs déjà sorti en novembre 2019 un film de fiction intitulé Freedom et nous avons plusieurs autres projets de fiction en développement, longs-métrages et séries.

Les plateformes de streaming ont révolutionné le secteur audiovisuel et continuent d’éclipser de plus en plus la télévision. Comment ce phénomène a-t-il impacté les choix d’une société comme Echo Studio ?

La télévision et la plateforme de streaming tiennent sur des équilibres, vis-à-vis du public, bien différents.
Pour la télévision, nous sommes dans une vision linéaire et continue. Le programme passant doit plaire à un maximum de spectateurs pour attirer l’audience, rendant inévitablement ce dernier plus lisse.
Dans le cadre d’une plateforme de streaming, le programme se diffuse à la demande, créant une logique de spécificité, nous pouvons davantage cibler nos créations à impact mais aussi les diversifier.

Une directive européenne est actuellement en train de passer, légalisant l’obligation de ces plateformes à réinvestir jusqu’à 25% de leur chiffre d’affaires dans la production nationale. Face à de telles mutations dans le secteur, un nombre croissant de projets iront chercher leur financement directement auprès des plateformes de streaming. Le contexte du Covid-19 a également accéléré l’évolution des habitudes de consommation de programmes audiovisuels, le public même encore réfractaire a lui aussi dû s’adapter.
Que va-t-il rester au cinéma ? J’aurais tendance à penser au cinéma d’auteur si caractéristique de la culture française mais aussi les productions à grand spectacle pour lesquelles la salle amène vraiment une expérience unique de visionnage.

Dans ce contexte, le cinéma d’impact trouve-t-il sa place ?

Concernant le cinéma d’impact, ces derniers temps, certaines créations ont connu un succès inattendu, je pense à Papicha, Les Invisibles, entre autres.
Il y a deux conséquences : cela met en lumière l’idée d’un public de plus en plus réceptif à ce genre de cinéma, enfin cela crée un track-record important vis-à-vis des partenaires financiers pour investir dans ce type de projets.
Des fictions comme Green Book récemment aux USA, Hors Normes en France ont connu des succès commerciaux et critiques enthousiasmants tout en sensibilisant le public à des sujets véritablement singuliers.
Concernant l’impact, je pense également au film Indigènes de Rachid Bouchareb, qui a mené à des mesures très concrètes puisqu’à la suite de ce film, a été promulguée une loi valorisant la pension pour d’anciens combattants africains pourtant bloquée depuis 1959, un processus exemplaire et une source d’inspiration pour une structure comme la nôtre.

Qu’est-ce qu’un bon “contenu à impact” selon vous ?

Comme dit précédemment, le contenu à impact peut prendre plusieurs formes : un documentaire, un film de fiction, une série, ou même encore des podcasts. Selon nous, il n’y a pas de “religion de format”, mais c’est la démarche qui compte. C’est un film (ou une série, un documentaire…) qui doit être fait pour sensibiliser le grand public à une cause et en ce sens il faut qu’il soit réussi. Pour toucher un public en quête d’émotions, il faut d’abord et avant tout avoir un bon film : une bonne comédie d’impact fera rire, un bon drame d’impact sera émouvant. Il attirera alors les spectateurs dans les salles ou devant leurs écrans et le message du film pourra atteindre et toucher le plus grand nombre.

Vous réalisez ces films afin de changer les mœurs, les mentalités mais pouvons-nous recenser les effets des films d’impact sur la population ?

Bien sûr, je vais vous citer deux exemples probants.
L’effet Scully (en référence à la série de X-Files) : Gillian Anderson dans le rôle culte de Scully joue l’un des premiers rôles de femme, scientifique, respectée par ses pairs. Les études ont montré par la suite qu’un certain nombre de femmes s’étaient dirigées vers des carrières scientifiques inspirées par ce personnage mythique des années 90.
Un autre exemple, toujours des années 1990, Will & Grace. Une des premières séries très grand public à avoir mis un couple gay à l’écran. En 2012, lorsque le débat sur le mariage homosexuel était d’actualité, Joe Biden, alors vice-président, a lui-même dit que cette série avait été un des plus gros facteurs de sensibilisation du grand public à cette cause. Parfois, les programmes grand public permettent de normaliser dans les mentalités des populations ou des comportements ostracisés au sein de la société.

Il y a-t-il un moment précis pour réaliser ces “campagnes d’impact” ?

En effet, on se rend compte qu’il y a un moment pour le faire, nous l’appelons le “teacheable moment” c’est- à-dire le moment idéal pour saisir le spectateur. Mais la campagne s’initie encore plus en amont, en général environ quatre mois avant la sortie du film. Ce temps est précieux pour chercher des financements, nouer des liens avec les fondations et les associations (que nous avons souvent déjà approchées en amont au moment de l’écriture et de la production du film), monter une campagne de crowdfunding… On se pose aussi la question de la portée à avoir, nationale, internationale, locale ? Parfois “less is more” et il vaut mieux se concentrer sur de l’hyper local. À titre d’exemple, le documentaire Chasing Ice (2008) s’est donné comme mission de ramener la preuve en  image du changement climatique. Plutôt que de viser tout le pays, ils ont décidé de se concentrer sur une tournée dans l’Ohio (où le gouverneur était climato-sceptique). Ils ont demandé à chaque spectateur de signer la pétition et de taguer sur les réseaux sociaux le gouverneur en lui demandant de réagir. Le gouverneur a finalement fait passer une loi qui va en faveur de la protection du climat. Toutes les campagnes d’impact ont besoin d’une forte stratégie qui s’inscrit dans le temps, en amont et en aval, et d’objectifs précis.

Quels sont les paramètres à prendre en compte pour vos productions à impact ?

Dans le cadre de nos prévisions, énormément de facteurs doivent être pris en compte pour optimiser l’impact de la création considérée : notamment le média, le public au cinéma est plus jeune que le public fidèle à la télévision, le format, les chiffres à anticiper ne sont absolument pas du même ordre lorsque nous abordons un documentaire ou un film de fiction, et un autre paramètre essentiel et spécifiquement en France : la chronologie des médias. Le choix se doit d’être bien réfléchi.

Avez-vous des partenariats de prédilection ? Quels sont vos modes de financement ?

Alors justement, il y a les partenaires traditionnels d’un film, c’est-à-dire les distributeurs, les chaînes TV, les coproducteurs et les aides publics comme le CNC. Lorsqu’on est dans “l’impact”, il y a d’autres partenaires qui viennent se greffer dans la création et dans le financement et qui amènent toute leur expérience. Tout d’abord, il y a les alliés de terrain, les associations, les ONG. Nous voulons que le vrai rôle soit joué par ceux qui y sont confrontés quotidiennement, les “acteurs de terrain”. Ils connaissent la limite de certaines solutions ou encore les solutions naissantes. Nous pouvons, main dans la main, créer le scénario le plus réaliste possible. Bien souvent, d’un sujet découlent beaucoup d’autres problématiques pas forcément évidentes au premier abord, et c’est grâce à leurs retours sur le sujet qu’on en comprend les subtilités. Les associations, les ONG vis-à-vis du producteur sont aussi des vecteurs de crédibilité et l’accès à une communauté préexistante. Elles ont, quant à elle, accès à un contenu pouvant leur servir de plateforme et de plaidoyer.

Ensuite, il y a les alliés financiers. Il faut savoir aller chercher ceux pour qui le deal est gagnant-gagnant, c’est-à-dire que le film servira leur visibilité et nous permettra de mieux le financer. L’enjeu est de taille car si je finance mieux le film, je finance mieux sa distribution et sa campagne d’impact et par conséquent, il touchera une cible plus grande. Le financement de “l’impact” est un secteur qui se structure de plus en plus, on voit des organismes et notamment des fonds qui se spécialisent dans ce genre de financement.

Enfin, le grand public a aussi son rôle à jouer. D’une part au niveau des financements : le maintenant très connu “crowdfunding”. Cet argent peut être utilisé pour la fabrication du film, pour sa distribution ou pour la campagne d’impacts. L’autre manière de faire intervenir le public c’est au travers de la pression citoyenne : à la sortie des films, proposer d’aider la cause à laquelle on a été sensibilisé en donnant un peu de son temps, de son argent aussi si l’on peut, en proposant de signer une pétition en ligne pour faire pression sur les décideurs…

Vous faites des films pour sensibiliser aux sujets qui traitent de l’écologie et du social mais comment se passent concrètement les tournages ?

C’est une bonne question car lorsque l’on fait un film d’impact, il faut aussi et d’abord regarder “chez soi”. Il serait compliqué de demander le changement sans l’appliquer soi-même. En effet, cela passe par des tournages écoresponsables. En ce qui concerne le catering c’est aller chercher des fournisseurs locaux, responsables. C’est aussi limiter les déchets, utiliser des matériaux eco-friendly… C’est quelque chose qui est aujourd’hui de plus en plus répandu : l’agence Secoya par exemple, est spécialisée dans le fait de rendre les tournages écoresponsables.

Une autre manière de créer du changement quand on produit, c’est de placer certains produits éthiques astucieusement. On joue, ainsi, sur le mimétisme des spectateurs et permet de normaliser des conduites écoresponsables. On connaît aujourd’hui l’agence Pixetik, spécialisée dans le placement de produit à impact positif.

Est-ce que vous observez l’émergence et l’affirmation d’un cinéma écoresponsable en France ?

Par cinéma écoresponsable, on sous-entend une volonté de faire une vraie campagne derrière et pas seulement de distribuer des films qui trouveront leur public. La réponse est compliquée. La volonté est là mais faire une campagne d’impact, ça coûte de l’argent, ça prend de l’énergie et souvent les producteurs qui sont sur ces films ne sont pas des gros producteurs et ont, par conséquent, des ressources réduites. Et les distributeurs sont dans une situation tellement délicate en ce moment avec la fermeture des salles. J’espère que ce sera le cas demain mais pour l’instant c’est encore compliqué.

Pensez-vous que les professionnels au sein des institutions cinématographiques ne sont pas assez formés sur la question de l’écoresponsabilité ? Des étudiants de 4e année de l’ICART ont réalisé un projet nommé “réveil culturel” avez-vous entendu parler de cette proposition ?

Oh oui, il s’agit de votre pétition, elle est encore ouverte sur mon ordinateur donc, oui, je suis au courant ! Pour répondre à votre question, je pense qu’on y arrive, c’est-à-dire que pour être formé, il faut que le secteur se structure et c’est en cours. De nombreuses organisations sont apparues très récemment afin de répondre à cette problématique écoresponsable. Ces différentes étapes d’organisations, dont je parlais précédemment, nous sommes finalement en train de les passer mais c’est vraiment quelque chose qui démarre.

Pour finir, ne ressentez-vous pas parfois un dilemme entre la démarche et le résultat sans avoir l’impression de tomber dans le piège du greenwashing ? Considérez-vous qu’il s’agisse d’une prise de position tout à fait légitime ?

“Rome wasn’t built in a day”. Je suis d’accord avec vous, les choses avancent petit à petit et il faut garder le cap, mais je sais aussi que cela ne se fait pas du jour au lendemain. J’aimerais profondément que ce soit le cas afin qu’on puisse changer à ce point les choses. Néanmoins, les financiers ne sont pas encore tous prêts, le marché non plus. Mais on y travaille ! Faire 40% c’est déjà une première réussite, et ce n’est pas pour autant que l’on ne vise pas le 100%, chaque chose en son temps.


Propos recueillis par Camilla Ruggaber, Clara Timoteo, Clementine Beltran, Ilan Mouna, Juliette Grangeon, Luna Ruiz, Nina Puygrenier, Rachel Roncin, Seohyun Liana Kim, Valentin Rosso, Loan Aranda et Enora Meriadec

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